mercredi 24 février 2010

PORTÉE SOCIALE ET PHILOSOPHIQUE

Sous ce titre quelque peu prétentieux, j'essaierai de souligner les conséquences de toute activité sportive et de faire ressortir ce qui est propre au judo.

Les bienfaits du sport sont aujourd'hui reconnus de tous.

La pratique d'exercices corporels bien adaptés, favorise l'hygiène, facilite les fonctions organiques, développe les muscles, assouplit les articulations, élimine les toxines, accroît la résistance à la fatigue, endurcit les nerfs, améliore les réflexes, augmente la coordination neuro-musculaire, entretient la santé et prolonge la vie. On reconnaît à l'exercice physique en général et au sport en particulier les vertus suivantes : développement de l'initiative, du sang-froid, de la volonté, du caractère, de la discipline, de la confiance en soi, de l'esprit de décision, de la loyauté, du sens de la collaboration, du jugement, de la maîtrise de soi, etc ... S'il est vrai que, dans le cadre même d'un sport bien déterminé, certaines de ces qualités sont développées souvent à un degré très élevé, il ne faut jamais perdre de vue que les résultats obtenus ne sont jamais généraux.

Certaines activités physiques, plus riches que d'autres, ou moins spéciales, permettent dans une certaine mesure, de transférer dans la vie les qualités physiques et morales spécifiques, qu'elles ont développées chez leurs adeptes., L erreur consiste à ,croire en la valeur créatrice de toute éducation physique. Celle-ci n'est qu'un outil d'éducation complétant une éducation ,générale.

C'est la raison pour laquelle le Judo authentique de maître J, Kano, n'est pas seulement un système d'éducation physique. A travers une méthode de combat, ce génial promoteur a créé un véritable instrument de culture mentale et physique.

Partant d'un exercice physique attrayant (la self-défense). il en fit d'abord un sport et ensuite un entraînement psychique. L'élève y reçoit cette extraordinaire formation : self-défense. sport et culture mentale. L'ascension dans les trois voies se fera évidemment à vitesse inégale. Mais les bénéfices de l'une retentiront considérablement sur les deux autres. Et chacun y trouve ce dont il a besoin.

L'indécis, le timide, sera tenté par les prises spectaculaires de la self-défense et les projections judo. Le faible physiquement développera sa force nerveuse et musculaire. L'inquiet et l'instable cultiveront leur mental. Mais tous bénéficieront des avantages d'un sport et, enfin, des avantages d'une éducation psychique L'influence d'une telle pratique sur le comportement humain est importante à plus d'un titre. Sur un individu peu doué par la nature et les circonstances de la vie, nous pourrons constater les conséquences heureuses d'un entraînement intelligent au judo.

Il est cependant essentiel de souligner que les résultats escomptés ne sont possibles que pour autant que toutes les meilleures conditions soient requises.

Le judo est un instrument très riche, très complexe, et chacun y prend ce que bon lui semble. Pour paraphraser un adage célèbre j'ajouterai que : «le judo est comme ces auberges espagnoles:on n'y trouve que ce qu'on y apporte ».

Le premier bénéfice est une amélioration de l'état physique.

Les muscles se développent sans exagération, le cœur se fortifie, les poumons gagnent en amplitude et en élasticité, la circulation s'améliore, les articulations s'assouplissent et, en général, la plupart des fonctions organiques accroissent leur vitalité. Le résultat en est une meilleure santé et surtout un plus grand dynamisme. Le système nerveux est aussi un des bénéficiaires de l'hygiène corporelle due à l'entraînement. Mais l'attention spéciale, prêtée au cours de l'entraînement à la décontraction musculaire et à la concentration mentale, favorise la détente après une journée très chargée. Rare est le judoka qui pense à ses tracas et soucis quotidiens en s'exerçant sur les tatamis. Par l'usage de plus en plus rationnel de son corps et de son esprit, le judoka arrive peu à peu à vivre intensément et économiquement. Les stades supérieurs du judo le libèrent davantage encore de ses limitations physiques et mentales et lui permettent de communier intensément avec la vie. Notre siècle est celui du progrès, de l'organisation, des révolutions sociales, politiques et économiques. L'homme doit s'adapter aux bouleversements quasi quotidiens.

Il doit résister à la vie agitée et trépidante de nos cités modernes.

Il lui faut pour cela un corps solide, des organes robustes et des nerfs résistants. Son esprit doit être souple et complètement maîtrisé. Mais cela ne suffit pas encore, l'homme moderne doit combattre contre la déshumanisation. Souvent ses instincts ne parviennent plus à réagir contre le danger de « robotisation », et de sécheresse affective.

Parfois aussi il pousse la porte d'un dojo ...

Quel oasis de calme, de paix, de silence que ce dojo!

Quels bienfaits, quelle source de jeunesse que ces exercices souples.

Quel oubli de soi que ces combats.

Quelle beauté, quelle élégance, quel dépouillement dans ces katas.

Et ainsi, l'homme réapprend peu à peu les lois éternelles de la vraie vie. Le maître lui montrera toutefois l'écueil : s'évader, fuir la réalité. Bien retrempé, aguerri, il repartira mener cette lutte qu'est la vie. Son intelligence, ses muscles, ses nerfs travailleront souplement, efficacement, pour lutter dans ce monde difficile qui est le sien.

Cette éducation ou cette rééducation est nécessaire à la plupart d'entre nous. Certains ont reçu argent, situation, instruction et se croient à l'abri de tout. Ne sont-ils pas encombrés de tics mentaux, de complexes, de sentiments d'infériorité ou de supériorité, de phobies ou d'angoisses?

Les facilités matérielles ou le pouvoir apparent ne peuvent que masquer la façade.

Un jour ou l'autre, on arrive devant le vide, un gouffre béant... Il faut aussi posséder une vie intérieure riche et créatrice.

L'art de vivre ne s'apprend. pas dans les livres, ni avec un professeur. Il s'apprend avec le cœur, le cerveau, les muscles, les nerfs. Il s'apprend en agissant et en pensat. Quels. Sont les privilégiés qui ont reçu le don, la capacité, l'aptitude au bonheur?

Une vie pleine, une vie d'amour, une vie constructive, n'est possible qu'en étant d'abord heureux: Mon but n est pas ici définir le bonheur, mais de vous convier à voir sous un jour habituel cette discipline, ce « yoga pour occidentaux », qu'est le judo moderne et ce qu'il peut nous donner à nous, déjà hommes du XXIe siècle.. .

L'enfant en sera le premier bénéficiaire. A l'école ou au dojo du quartier, il s'initiera progressivement à une discipline physique à la fois attrayante et exigeante. Son corps bien entraîné, ses nerfs contrôlés, son esprit peu à peu maîtrisé, l'enfant arrivera à l'adolescence puis à la maturité plus facilement qu'un autre.

Le choix du professeur sera capital car la malléabilité d'une personnalité qui s'ébauche demande plus qu'un honnête technicien : elle exige un éducateur au sens le plus large du terme.

Au dojo l'enfant apprend à se connaître, à discerner ses défauts et ses qu'alités. Il apprend surtout la discipline et le goût de l'effort. Il apprend à estimer ses compagnons, à progresser avec eux; il trouve un exutoire à son énergie, à sa turbulence et à son agressivité. .

Au dehors du dojo, l'enfant est moins nerveux,. moins poltron ou moins agressif. Son comportement est plus sain et plus équilibré, Sa santé physique et mentale l'aideront considérablement à acquérir sa maturité. IL reculera moins devant L'effort, acceptera plus facilement les coups durs.

Le judo a été employé dans certains .cas de délinquance juvénile. Déjà avant la première guerre mondiale, l'ancien président des U.S.A., Th. Roosevelt, avait créé une série de salles d'entraînement à la boxe dans les quartiers pauvres de New-York, où les délits étaient fréquents chez les jeunes. La chute spectaculaire des délits qui suivit le nombre d'inscriptions en masse des jeunes au cours de boxe semble démontrer qu'une initiative de ce genre était une véritable solution au problème de la délinquance Juvénile. Le temps passé au club était une occupation remplissant une certaine part des loisirs. En outre, une grande partie d'agressivité et de besoin d'action était normalement déchargée pendant l'entraînement.

Mais le résultat obtenu ne signifiait en aucune façon que les causes de la délinquance juvénile étaient supprimées.

En France, l'expérience fut reprise il y a quelques années avec le judo,par des initiatives privées. Le manque de moyens et méconnaissance réelle de tous les aspects du problème firent des résultats une demi-réussite. De puissant moyens sociaux, économiques et psychologiques, doivent être mis en action.

pour atteindre un résultat vraiment efficace. Il semble que l'Etat français l'ait compris et qu'une action d'envergure se prépare. D'autres initiatives privées ou nationales sont à l'étude dans d'autres pays. Mais ce qu'il importe de savoir c'est que ie judo est un moyen incroyablement efficace pour préserver notre jeunesse des écueils d'une société de plus en plus désaxée.

Quant au jeune homme et à l'adulte, nous l'avons vu tout au long de ce livre, ils sont les grands bénéficiaires de la pratique assidue du judo. Le judo, après une certaine période d'assimilation, transfère lui aussi les principes appris au dojo.

En premier lieu, le judoka réorganise dynamiquement les diverses parties de son existence: sommeil, repas, travail professionnel, études, loisirs, etc ... En général, la concentration mentale propre à l'étude du judo est reportée sur chaque acte de la vie quotidienne. La vie gagne en intensité et en efficacité. L'homme vise des buts précis et met tout en œuvre pour y parvenir. Son efficacité, ses contacts sociaux, son énergie font de lui un être constructif, positif; la libération progressive des inhibitions, des peurs inconscientes et de l'angoisse font de lui un homme de plus en plus responsable. Son champ de conscience s'élargissant, il devient un être pensant, un rouage actif et conscient de ce prodigieux et mouvant mécanisme universel.

Conscient de sa puissance physique et de sa maîtrise mentale aux premiers stades de son évolution, le judoka joue avec une certaine efficacité le rôle que semblent lui assigner ses déterminants sociaux et personnels.

En ce qui concerne la femme, le judo doit en premier lieu lui être adapté. Ce point acquis, les conséquences d'un entraînement régulier sont, dans une certaine mesure, semblables à celles de l'homme. Mais à notre époque, où sa promotion sociale et culturelle avance à grands pas, il semble que l'art souple puisse aider beaucoup de nos compagnes. La discrimination sociale et psychologique entre l'homme et la femme semble aboutir lentement à une solution finale.

La femme est différente de l'homme à plus d'un titre et ceci n'implique en aucun cas des notions de supériorité ou d'infériorité. Mais ce n'est que difficilement que la femme gagne peu à peu sa dignité humaine. Notre société pourra transformer encore certaines de ses structures en faveur de leur promotion, mais le travail intérieur, le plus important entre tous, ne peut être fait que par chacune d'elles. Cette marche vers la plénitude psychologique, mais aussi vers l'équilibre d'une vie physique et mentale intense, sera considérablement aidée par la pratique du judo.

Cette haute discipline leur permettra au dojo d'avoir des contacts tangibles avec leurs réelles possibilités physiques et mentales.

De cette connaissance de soi, toute édification d'une authentique personnalité forte et saine devient possible.

Le corps se fortifie; les formes s'embellissent, les nerfs s'apaisent, la confiance en soi naît, le goût de l'effort s'accroît et la résistance à la fatigue augmente.

Hors du dojo, la femme se sent peu à 'peu martre de son émotivité. Elle garde facilement son sang-froid et ses décisions sont plus rapides. Sa souplesse, l'harmonie de ses gestes, l'aisance de son attitude lui donneront une réelle confiance en elle ..

Sa force intérieure et son équilibre y gagneront immanquablement.

Ménagère ouvrière ou employée, elle pourra mener à bien ses occupations avec méthode et efficience, en réduisant sa fatigue au maximum.

Mère de famille, son emprise sur elle-même, son calme, sa sûreté de jugement, son équilibre influenceront heureusement l'éducation de ses enfants. , , .

Oisive ou dilettante, la femme occupera utilement ses loisirs d'une part entretiendra son corps et augmentera sa vitalité d'autre part, pour finalement découvrir un univers mental des plus passionnants.

En résumé, il semble que le judo convienne à tous et soit une espèce de panacée universelle.

Il n'en est rien.

Nous avons vu les quelques contre-indications médicales à la pratique du judo. Il en est d'autres d'ordre mental.

Pour pratiquer le judo, il faut un minimum d équilibre mental d'une part et un quotient intellectuel moyen. ,

Enfin l'enfant trop jeune ou l'adulte trop âgé, ne peuvent tirer aucun profit d'un entraînement trop sévère pour eux.

D'autre part, quelques réserves sont à formuler quant résultat escompté, tant physique que mental.

En premier lieu le judo n'apprend pas à ses adeptes les sauts, la course, les lancers et la natation. Il ne développe pas les muscles comme le culturisme, ni la force comme l'haltérophilie.

Mais dans une pratique complète d'entraînement à la compétition ces compléments seront utilement employés.

En 'ce qui concerne les bénéfices mentaux, moraux ou sociaux à retirer du judo, une réserve seule est à formuler mais elle est importante. Le judo vaudra ce que vaut le professeur.

Ctette extraordinaire école est un instrument riche, complexe mais transparent comme l'eau. Entre des mains expertes, Il peut faire des miracles; entre des mains maladroites il peut engendrer des crimes. Le judo peut être comparé à la science. Elle est un

puissant instrument de connaissance et, selon l'usage qu'on en fait, elle est à la source des plus grands bienfaits, comme des plus grands fléaux.

Si le judo déçoit parfois, il y a lieu avant de le blâmer, de connaître les éléments responsables de sa diffusion, de son enseignement et de sa pratique. Alors bien des points s'éclaircissent.