mercredi 24 février 2010

LE JUDO DE DEMAIN


Le judo est multiple, sa polyvalence en fait son succès. Mais cette richesse pourrait lui nuire. Le judo est un tout qui doit être étudié, compris et maîtrisé. Maître Kano en le créant en fit un système d'éducation intégrale de la personnalité. Les aspects multiples du judo peuvent être des voies diverses d'approche, mais non des voies exclusives de pratique et de réalisation. Un judo incomplet est un danger; pour le judo lui-même d'abord, pour ses adeptes ensuite. Les trois principaux aspects du judo sont : art martial, éducation physique et mentale, sport de compétition.

Ces trois conceptions font partie intégrante d'un tout. Trop souvent, l'une d'elles prédomine au détriment des autres. Son avenir dépendra de l'heureuse harmonie de ces trois composantes.

• Le « judo-art martial» est la base de toutes les formes du judo. Il est l'essence même des méthodes antiques du jiu-jitsu et forge l'esprit chevaleresque des judokas. Toutefois, la force morale nécessaire à cette longue ascèse est trop sévère pour notre civilisation. Ses buts sont trop limités. Le combat en est l'essensiel. Sa préparation intense mène irrésistiblement à la guerre. L'esprit bu-do est trop axé sur le conflit belliqueux et finit par développer l'agressivité.

Il fut très prisé au Japon avant la seconde guerre mondiale et forgea l'élite de l'armée nippone. Mais ses effets néfastes sur la mentalité des jeunes, le peu de cas fait à l'humanisme et aux valeurs spirituelles, firent faire marche arrière aux responsables de la nation japonaise. Le « judo-art martial» ne peut se développer sous ce seul aspect qu'à l'armée et à la police.

Toutefois son climat mental bien contrôlé doit être celui des judokas jeunes et surtout des champions. Il pourra être parfaitement analysé et progressivement maîtrisé dans la pratique de la self-défense et dans certains katas.

• Quant au « judo éducatif », il vise en premier lieu à entraîner le' corps et à le maîtriser. En second lieu, il peut développer les facultés mentales et les contrôler. Par une discipline méthodique, il cherche à créer une harmonieuse personnalité. Son importance est grande chez les jeunes.

Leur malléabilité corporelle et spirituelle leur permet d'en tirer le maximum de profit. La méthode de maître Kano consistait en « entraînement à la fois du corps et de l'esprit par un sport de combat spécial, permettant à tous de se connaître, d'augmenter l'empire de soi et de développer au mieux ses capacités, afin de vivre épanoui dans une société harmonieuse », Ce rêve utopique se répandra-t-il? L'idée de maître Kano s'imposera-t-elle grâce à la vogue du judo? Un tel judo aussi désirable nécessite précisément cette unité, cet équilibre dont nous parlions plus haut. Si certains ont propagé le judo sous le seul angle « art martial », d'autres, par réaction, n'ont voulu voir que le côte pédagogique pur. l'aspect martial et l'aspect sportif étaient délaissés au profit d'une vague doctrine éducative ou bien des professeurs mal préparés ont sombré. Ici nous touchons au nœud du problème: la carence des bons professeurs, la rareté des maîtres. Que doivent-ils être?

Un bon professeur connaît à fond sa technique, ses moyens didactiques et possède un honnête bagage psychologique. n peut former des ceintures noires efficaces en combat, au style impeccable, au comportement moral et social équilibré. .

Un bon maître connaît le judo non seulement d. une manière approfondie et parfaite, mais possède une personnalité. dynamique et équilibrée. Son expérience personnelle de la vie lui permet de guider psychologiquement ses élèves. Il peut former des professeurs d'une réelle valeur et mener quiconque à son épanouissement physique et mental..

Enseigné par de tels instructeurs, le « Judo éducatif» est bien la discipline complète et harmonieuse méritant le nom de voie Souple. Et elle laissera une place de choix au «Judo-compétition ».

• Sans l'épreuve de la compétition, le judo ne serait pas le judo.

Une vie de randoris sérieux ne peut remplacer quelques shiais, voire quelques championnats. Depuis les premiers championnats au Japon jusqu'aux derniers . championnats olympiques. le judo compétition a subi une singulière. évolution .. S'il a sérieusement aiguillonné professeurs, entraîneurs et Judokas de tous grades, il n'en est pas moins vrai. qu'il s'est. détourné peu à peu du judo traditionnel pour devenir une spécialisation.

Tout compétiteur sérieux sacrifie tout ce qui en Judo ne concerne pas les buts les plus immédiats : ne pas tomber. remporter à tout prix le titre. Trop de judokas se spécialisent dans une ou deux techniques « payantes », le reste de la technique étant délaissé au profit de « ficelles de métier », l'aspect « art martial» n'est vécu que par les champions japonais ou quelques grands champions européens. les subtilités d'une technique réelle et complète leur échappent. les bienfaits d'une ,culture mentale appropriée leur paraissent superf1us. Quant à l'aspect philosophique du judo, ils l'ignorent. De tels Judokas ne connaissent qu'une infime partie du judo ... Malheureusement, le Judo actuel semble prendre ce chemin de spécialistes, car les Jeunes générations ne voient que le « champion », elles ont le culte de la « vedette », C'est un danger pour le judo de demain. la route de la compétition est souhaitable pour qui peut la parcourir, mais seule une élite arrive au bout. le judo intégral est assez riche pour donner à tous ce qu'ils recherchent. le Judo de Compétition ne s'adresse qu'à une minorité. Son aspect positif n'est pas à dédaigner bien au contraire. Tout judoka apte à subir l'épreuve doit passer par la compétition. Au professeur de préparer et guider chaque cas particulier. La formation des futurs professeurs est capitale pour cette extraordinaire école du judo.

Bien des nations modernes commencent à introduire à l'université des cours de professeurs en éducation physique, spécialisés dans l'enseignement du judo. Cette innovation est fort heureuse et limitera peu à peu l'enseignement à une élite dûment Formée.

Le point crucial restera la formation ... de ces professeurs. Un jeune universitaire peut-il connaître assez l'homme que pour le guider en profondeur? L'enseignement devrait être réservé aux seules natures fortes, formées par la longue expérience du judo.

L'avenir d'un art martial, même déguisé en judo, semble inexorablement compromis. Celui du judo-sport semble au contraire prometteur. Mais il ne sera alors plus qu'un sport et comme tous les sports, il connaîtra tôt ou tard son déclin. Ainsi tronqué, le judo aura failli à sa mission. La vogue du judo ne repose pas, comme certains naïfs pourraient le croire, sur la publicité des championnats, mais plutôt sur la multiplicité des bienfaits physiques et moraux que promet le judo à ses adeptes. Apprendre une gamme de techniques d'attaque, quelques principes d'esquive, des contre-attaques, est une excellente discipline physique. Les utiliser en combat est un entraînement sérieux pour le corps. Mais la boxe, la lutte ou l'escrime ne donnent-ils pas au moins les mêmes résultats? Limiter le judo à ce seul aspect, c'est courir le risque de le voir délogé de sa cinquième place parmi tous les sports internationaux.

La mission du judo de demain est plus élevée (plus difficile aussi) que celle de la plupart de nos sports contemporains. Ses moyens et buts se résument en ceci :

• reprendre à ses origines l'éducation psycho-physique de tout être humain;

• lui apprendre l'auto-relaxation localisée et globale;

• l'éduquer aux sensations d'équilibre dynamique, de centre de gravité en mouvement, de déséquilibre, etc ... (chutes et étude);

• lui enseigner l'application rationnelle des mouvements du corps humain;

• lui apprendre l'utilisation des principes ci-dessus en attaque et en défense (yaku-soku-geiko et kata);

• transformer progressivement les perceptions « raisonnées» d'attaque et de défense en réflexes conditionnés (randori et shiais);

• l'aider à dépasser ses aptitudes physiques habituelles par la maîtrise de son psychisme;

• développer le sen-no-sen ou « initiative supérieure» : perception d'inconscient à inconscient (tai-sabaki et kiai);

• acquérir la compréhension intime des forces complémentaires: positif et négatif, Uke et Tori, etc ... ;

• accéder au dépassement psycho-physique total des phénomènes habituels de cognition : abolition du Moi archaïque; re-naissance intégrale de l'individu : création continue d'un Moi « instantané ».

Cet ambitieux programme dépasse quelque peu le but des sports courants et est certes impossible à réaliser pour un « technicien • pur ou un « entraîneur» sportif, seraient-ils même 6e dan. C'est là la noble tâche d'hommes complets ayant réalisé personnellement leur propre découverte et possédant la clé de leur destinée. Ces êtres authentiques et équilibrés sont les hommes de l'avenir.

D'eux dépendra le judo de demain. Ils pourront jouer un rôle important dans notre civilisation moderne. Devant une société de plus en plus industrialisée, de plus en plus mécanisée, l'homme mène une vie agitée, épuisante, de moins en moins saine.

Devant cette société en vertigineuse évolution, en perpétuelle révolution sociale, économique, politique et spirituelle, l'homme s'affole, se débat et cherche; puis abdique, trop souvent.

Devant ce tournant capital de l'histoire humaine, l'homme risque de se déshumaniser, de manquer son destin. L'humanité veut atteindre l'âge d'or. Techniquement cet idéal se matérialise peu à peu. Mais y aura-t-il ce jour-là des hommes pour en joui? Que leur faudra-t-il? Plus de lucidité, plus dé connaissance de soi, plus d'amour authentique, plus de spiritualité. L'avenir est à notre porte et dépend de chacun de nous. Seule une personnalité forte peut donner et créer. Aussi le « judo intégral» sera-t-il celui de demain. Un judo complet, imprégné de ses idéaux antiques et martiaux, visant un but des plus louables : l'épanouissement intégral de l'être humain dans son contexte social.

puisse-t-il aider l'homme de demain à découvrir le bonheur et un art de vivre!