Elle est la meilleure et la pire des choses : beaucoup d'éducateurs hésitent à s'en servir franchement.
Quelle maîtrise de son art faut-il avoir pour conduire et préparer un élève au combat, sans que cela soit pour lui un dangereux miroir aux alouettes! Le judoka doit passer par ce moment de vérité qui est le shiai et il devra y passer souvent. Sans le shiai, le judo ne serait pas ce qu'il est. Il ne serait qu'une bonne culture physique. Mais la vogue de la «championnite» n'est pas pour favoriser le judo. La retransmission au cinéma et à la télévision des championnats nationaux ou internationaux fait connaître l'existence du judo, tout comme d'ailleurs le fait la presse et la radio. Mais une analyse des réactions du public profane démontre rapidement que cette image (bien partielle) du judo, n'est guère prisée. La personne ignorant tout de cet art et assistant à un championnat télévisé, ne se sent pas spécialement attirée par ce sport ressemblant à du catch évolué.
Celui qui en a une vague connaissance ne cache jamais sa déception ou son étonnement devant ces spectacles. Est-ce là le judo?
Est-ce là l'art souple ou vitesse, technique, souplesse,· permettent de contrôler la force brutale? Et sur les centaines de combats se déroulant lors d'un championnat, une dizaine à peine sont du réel judo.
Bien des téléspectateurs profanes n'ont-ils pas et ne continuent-ils pas à préférer une démonstration du judo à un championnat? Lors d'un récent championnat d'Europe, j'ai entendu crier spontanément: ça c'est du vrai judo! Quel était ce champion provoquant cette admiration?
Il s'agissait d'une démonstration du kime-no-kata par deux maîtres nippons. .
Les dirigeants du judo doivent repenser le problème, sans quoi le judo risque fort de ne plus être qu'un sport parmi tant d'autres. Les débuts fulgurants en Europe turent dus, probablement, à la publicité adroite des pionniers, basée sur l'élément magique de la maîtrise absolue de l'agresseur plus fort que soi. Aujourd'hui de sérieuses études nous mènent à la découverte du judo total, qui est bren plus captivant encore' que ce judo mystérieux du début. Tous ceux qui l'ont découvert et expérimenté, ont le devoir de ne pas l'altérer.
Que propose-t-on aujourd'hui au public? Un sport compétition!
Et comment l'apprécier? Par les championnats. Croyez-vous que nos champions actuels soient à la hauteur de ce rôle de modèle à admirer? Et encore le seraient-ils, est-ce là tout l'idéal du judo: un champion! C'est-à-dire un sur mille. Nous sommes loin de l'idéal universel de Jigoro Kano.
Mais ce n'est pas une raison pour proscrire la compétition.
Au contraire, il faut la promouvoir. D'une part les professeurs devraient être mieux préparés aux problèmes qu'elle pose. Ensuite, les candidats devraient être informés sur le plan moral d'une manière plus profonde et plus efficace. Le judoka est l'héritier d'une tradition chevaleresque. Le judo est encore aujourd'hui, considéré comme un sport pas comme les autres, plus noble, plus fair-play, plus éducatif qu'aucun autre. Les moyens peu élégants de vaincre à tout prix, le peu de cas fait à la vraie technique judo, font que beaucoup de judokas se désintéressent, non seulement des championnats, mais aussi du combat sérieux. Ce sont, en général, les faibles physiquement qui s'en détachent les premiers. L'occasion est trop belle pour éviter l'effort et le risque d'être bafoué par une série de défaites. Il y a aussi les « esthètes », les « philosophes », les « idéalistes», pour qui tout n'est que beauté, art, élévation d'âme, etc ...
Le spectacle d'un championnat leur donne la partie belle.
Ceux qui ont besoin du judo viril plus que n'importe qui, s'en détachent, car la dose est trop forte et trop peu attrayante dès le début. Ils n'ont pas entièrement tort, mais comment leur faire comprendre que ce n'est pas avec un yaku-soku-geiko, aérien et gracieux qu'ils progresseront dans la « Voie », Comment les amener au randori vigoureux et tonique et ensuite au shiai viril, si l'exemple des « costauds» de championnat n'est qu'une démonstration de force pure et non intelligente, si le courage et l'audace martiale alliés à la technique font place aux calculs, aux « ficelles », au principe de « surtout ne pas perdre », Le rôle du professeur est capital. Progressivement, il doit former le judoka aux diverses phases de l'entraînement. D'abord l'étude et le yaku, puis l'uchi-komi et le kakari-geigo, ensuite le randori et pour finir le shiai. Les organes internes, tout comme l'appareil musculaire s'adaptent ainsi au combat. Ce qui est trop souvent délaissé sinon ignoré, c'est la préparation mentale. Celle-ci doit « coller» parfaitement à la préparation physique dès le début de la ceinture blanche. Nous y reviendrons plus loin.
Il existe plusieurs types de compétition. Outre les shiais vus précédemment, il ya deux formes de compétition, dites individuelle et par équipe.
La première se rencontre déjà dans les shiais traditionnels.
La seconde oppose deux groupes de judokas. Dans ce cas, les combats se déroulent individuellement et chaque équipe totalise les points gagnés. L'équipe au score le plus fort emporte la victoire. Partant de ce principe, on a instauré des rencontres régionales, des championnats provinciaux, nationaux et internationaux. Des titres sont alors mis en jeu, soit individuellement, soit par équipe. Ainsi un championnat continental peut mettre en jeu un titre par équipe (par nation), un titre par grade, un autre par poids, etc ...
A ce sujet, il faut signaler que l'admission des catégories. de poids a suscité et suscitera encore bien des commentaires passionnés.
Les deux argumentations contradictoires se résument à ceci
- pourquoi ces catégories de poids si le judo est précisément l'utilisation intelligente de l'énergie contre la force brutale. Donc le petit léger doit pouvoir vaincre, grâce à sa technique, le grand et lourd;
- les catégories de poids sont nécessaires lorsque deux adver-saires de même grade ou de même bagage technique ont un entraînement et une volonté de vaincre identiques.
Dans ce cas, le plus lourd, le plus grand, a un incontestable avantage sur son adversaire, physiquement moins imposant. Partant de ces deux points de vue, les tenants de chaque clan restent sur leurs positions.' li semble, toutefois que l'évolution historique dans ce domaine soit irréversible et que le principe des catégories de poids sera de plus en plus généralisé.
Mais quel que soit le type de compétition, le système de classification ou de titre en jeu, la préparation à ce genre d'épreuve est très importante.
Seul un adulte jeune peut s'y adonner avec succès. Mais, comme il existe des championnats de juniors, seniors et vétérans, on peut considérer que la compétition est ouverte aux judokas de . seize à quarante-cinq ans. En dessous de seize ans, tout combat sérieux est à proscrire. Au-delà de quarante-cinq ans, seul un judoka bien entraîné et possédant une longue pratique du judo, pourra participer à des compétitions pour vétérans, avec toutefois J'accord préalable du médecin sportif. Cet accord est d'ailleurs obligatoire, pour tous les participants d'un championnat officiel.
Les judokas féminins ne pratiqueront en aucun cas des compétitions ou même un shiaï spécialement conçu pour dames.
Lors du combat sincère, l'individu atteint les limites de ses possibilités physiques et mentales et parfois les dépasse. Une femme ne pourrait en retirer que déboires et accidents sérieux.
Quant à la préparation aux compétions, elle devra s'échelonner sur de longs mois. En fait, dès la première leçon, le professeur doit préparer son élève au combat. Mais dès qu'un bagage technique suffisant est atteint, que les randoris se comptent par centaines, voire par milliers, il est temps de commencer à entrevoir la préparation athlétique aux premières compétitions. Cette mise en train athlétique s'échelonnera sur plusieurs mois.
L'entraînement sera axé sur l'uchi-komi et le randori. La partie technique des leçons, très restreinte, comprendra le dépistage des défauts, l'étude des enchaînements-combinaisons et des contre-attaques. De temps à autre, les candidats à la compétition seront confrontés dans de courts shiais expérimentaux au sein du club. Le professeur veillera notamment, à l'attitude combattive et aux respects des règles de compétition. Enfin, l'entraînement proprement judo, se complétera par une initiation poussée au règlement international de compétition, ainsi que par une préparation mentale à l'esprit de compétition. L'élève doit progressivement se sentir maître de sa technique, être confiant dans son efficacité, être capable de diriger son potentiel d'agressivité. Prévoyant les éventuelles défaites et victoires futures, le professeur aura soin de préparer soigneusement le terrain psychologique de ses élèves afin de leur éviter de sombrer sur les dangereux écueils de la vaine gloriole ou, au contraire, de la sous-estimation de soi . Bien souvent cette équanimité devant la victoire ou la défaite ne s'acquiert qu'au long des combats. Le rôle du professeur sera alors prépondérant. La difficulté de cet entraînement est de conserver ou de développer la volonté de vaincre, d'épanouir et maîtriser la combattivité tout en augmentant la sérénité devant le résultat acquis. .
Outre l'entraînement spécifiquement Judo, le futur compétiteur devra augmenter son capital puissance. Celui-ci sera le résultat d'une bonne santé, d'une musculature résistante et forte, de nerfs solides et prompts, d'un cœur lent et robuste, de poumons souples, amples et puissants. L'entraînement classique du judo y concourt pour une grande part. Mais la diététique la culture physique, la gymnastique respiratoire, les disciplines para-hygié-niques, etc., seront des adjuvants précieux et contribueront à améliorer la « forme ». Rappelons qu'après cette longue préparation,le judoka devra, pendant les jours précédant immédiatement la compétition ainsi que pendant toutes les épreuves, prendre une série de précautions afin d'éviter certains déboires.
L'athlète évitera les durs combats ou l'entraînement intensif pendant au moins les trois jours précédant la compétition. Les heures de sommeil et de détente seront particulièrement importantes ces derniers jours. Les repas trop copieux seront proscrits, ainsi que les situations conflictuelles ou émotives. Le jour même de l'épreuve, l'athlète recherchera le calme, un entourage compréhensif et encourageant. Avant chaque combat, il s'échauffera soigneusement, sans hâte ni énervement. Son attitude Vis-à-vis des adversaires sera calme, posée, naturelle. Dès le salut, tout sera oublié, seule l'initiative de l'attaque devra compter. Entre chaque combat, le temps de récupération sera con,sacré à. la gymnastique respiratoire, aux exercices de décontraction et, si le laps de temps de repos est très long, à une phase d'échauffe'!1ent et d'assouplissement. Chaque combat sera mené avec énergie.
Pour vaincre sûrement et rapidement, il faut attaquer sans cesse et à fond. Mais, l'excédent de force est à éviter, car ce serait épuiser ses réserves avant la fin des combats. Il s'agira donc de doser son effort suivant le stade des combats, mais aussi suivant les adversaires. Après la compétition, l'athlète évitera les refroidissements, l'absorption de boissons alcoolisées et les repas trop copieux. L'organisme est à ce moment très chargé en toxines et' peu doté de réserves défensives.
Un long repos réparateur, une légère alimentation et une abondante boisson simple, sont les trois moyens de récupérer rapidement les forces dépensées.