Celle-ci est en quelque sorte la manière dont se défendrait une ceinture noire de formation complète. Elle ne peut donc être utilisée que par un judoka longuement entraîné aux principes élémentaires du judo et commençant à en maîtriser les principes supérieurs. La self-défense élémentaire se base sur l'instinct primaire de défense et préconise la parade. La self-défense supérieure rééduque les réflexes et oppose au danger l'esquive. La self-défense intégrale utilise les techniques précédentes et les dépasse en utilisant au maximum les possibilités de l'individu. Le but final, le « summum» de la maîtrise en « intégrale» est de vaincre avant l'agression. Mais ne vous méprenez pas sur le sens de cette phrase, il ne s'agit pas d'attaquer purement et simplement une personne susceptible de vous porter un coup. L'explication est plus nuancée: lorsqu'un agresseur décide de vous attaquer, l'idéal est de contre-attaquer à l'instant précis où la décision vient d'être prise et où l'influx nerveux est donné à la moelle épinière. Les muscles ne sont pas encore en mouvement, mais déjà l'idée de l'attaque est partie tout au long du système nerveux. De l'idée à l'action, le laps de temps est très court et c'est pendant cette fraction infime de seconde, qu'un maître en self-défense contre-attaque. S'il arrive trop tard, il esquive ou pare l'agression sans perdre son sang-froid. Mais une perception aussi aiguë est-elle possible? Un être humain peut-il découvrir cette infinitésimale fraction de temps où l'agresseur met en branle son système nerveux pour attaquer? Tous les judokas chevronnés vous répondront par l'affirmative sans la moindre hésitation. La pratique des assauts libres et des compétitions plus sérieuses leur ont en effet donné ce pouvoir que l'on dénomme sen-no-sen.
Au chapitre précédent, vous avez compris l'importance du kiai en attaque. Il s'agit d'éliminer toute pensée, tout acte étranger au combat et d'agir sans délai avec toute l'énergie nécessaire. En matière de défense, la même souplesse physique et mentale est requise et l'expert communie totalement avec son agresseur. Rien ne lui échappe. Il perçoit presqu'inconsciemment la moindre modification dans l'attitude de son adversaire: rythme respiratoire s'accélérant ou se ralentissant, crispation de tel groupe musculaire ou décontraction de tel autre, variation du centre de gravité, mimique imperceptible et. peut-être aussi variation de la tension de l'esprit. Et, au moment même où l'autre attaque, il est déjà contrôlé, projeté, mis hors de combat. Cela ressemble à de la divination. Certains expliquent la chose par le phénomène de la transmission de pensée. Sans vouloir me lancer dans la parapsychologie, je crois utile de signaler les faits suivants:
• les. parapsychologues ont démontré l'existence du phénomène E.S.P. (perception extra-sensorielle) et du phénomène P.K. (perception psycho-kinétique). L'un est la connaissance des faits sans l'aide des sens, l'autre le pouvoir d'influencer par la pensée l'action normale des objets;
• ces deux- phénomènes, en relation avec le psychisme humain, sont appelés fonction P.S.I. Cette fonction se rencontre chez tous les humains et chez les animaux, où elle est particulièrement sensible. Elle est plus opérante dans les cas où la conscience est amoindrie ou abolie. La confiance en soi est un élément primordial de réussite. .
Ces hypothèses doivent encore être démontrées. Toutefois,
il semble que nous ne soyons pas loin d'une très prochaine explication des phénomènes de téléperception.
Sans aller aussi loin, nous pouvons néanmoins admettre l'explication du san-no-sen. Suivons son développement chez le judoka bien entraîné.
Lorsque le débutant commence à exécuter d'une manière valable les premières projections du Gokio, il s'initie aux premiers assauts courtois. Il devrait ainsi percevoir chez son adversaire toutes les erreurs de stabilité, de déplacement, d'attitude, etc., et profiter de ses moindres erreurs pour tenter de le projeter. D'autre part, son adversaire cherche de même toutes les opportunités de l'attaquer avec efficacité, ce qui oblige notre débutant à être constamment sur le qui-vive. Cette vigilance consiste à déceler chez l'adversaire toute tentative dé tsukuri et de kuzushi. De la ceinture jaune à la ceinture noire, le chemin sera long et jalonné d'innombrables chutes! Au départ, il sent l'attaque au moment où ses pieds décollent du tapis ... ce qui est un peu tard. Ensuite, il sent le déséquilibre élaboré par son adversaire, ainsi que la fin de son déplacement d'attaque (tsukuri). A l'étape suivante, il commence à percevoir le déplacement de Tori dès le début du tsukuri. Mais jusque là, il ne s'agit que de perceptions conscientes. Or, dès le début de l'entraînement au combat, l'organisme reçoit, par le truchement de tout le système nerveux, une foule d'informations. Celles-ci sont de toutes natures et passent par les canaux des systèmes nerveux .cérébro-splnal et végétatif. La plupart sont inconscientes, mais s'associent entre elles, pour former un complexe neuronique spécial. C'est ainsi que l'organisme enregistre le changement du rythme respiratoire de l'adversaire, le déplacement de son centre de gravité, la position des pieds, des hanches, la traction poussée des bras, la position de la tête, l'expression des yeux, etc. Le kumi-kata (voir page 44) facilite cette transmission de renseignements. En effet, le contact étroit du corps adverse permet de percevoir physiquement, par voie directe, une foule de sensations : pulsations cardiaques, amplitude et rythme thoracique, influx nerveux, ondes vibratoires, contractions musculaires, modification kinétiques, etc.
Cet ensemble de. messages est enregistré, emmagasiné et souvent assimilé au phénomène qui l'accompagne: l'attaque, de l'adversaire. Puis, peu à peu, le cerveau analyse ces données, les classe par intensité, ordre chronologique et fréquence, élimine les messages peu fréquents et finalement crée un réflexe conditionné primaire de défense. Il se présente alors à peu près comme ceci : lorsque le système nerveux enregistre dans un ordre déterminé une série de sensations d'intensité et de type bien précis, celui-ci y associe immanquablement la notion générale d'attaque. Après de nombreux combats, l'analyse s'affine et permet de créer un réflexe conditionné secondaire de défense : l'ensemble de sensations perçues est si bien décomposée qu'il devient possible de sentir la direction du déséquilibre, "intensité du kake, la vitesse du tsukuri, etc. A la notion générale d'attaque s'intègre la connaissance précise de la projection. Enfin aux combats, s'ajoute l'apprentissage des techniques d'esquives,· de contre-attaques et de contrôles. Le judoka s'efforce alors d'associer peu à peu au réflexe secondaire de défense, la technique la plus appropriée pour riposter à l'attaque. La création de ce réflexe conditionné idéal est particulièrement complexe. Car le judoka doit, en un temps très court, percevoir un danger d'agression, analyser le type d'attaque, décider d'une parade et riposter sans délai. A ces phases, s'ajoutent des phénomènes perturbateurs psychiques et physiques, qui représentent tous les degrés et toutes les facettes de la peur. Seul un entraînement intelligent et progressif amène le judoka à percevoir rapidement l'attaque. Mais cette rapidité augmente dans des proportions à peine croyables si le rôle de la conscience devient nul.
En effet, jamais le combattant ne doit se concentrer sur la respiration de sen adversaire, sur son équilibre ou son regard, etc. Certains manuels le conseillaient à tort, il y a encore quelques années, à leurs lecteurs avides de connaître un enseignement mystérieux capable, pensaient-ils, de faire des surhommes.
Si cette vigilance était possible, même sur toutes les modifications physiques et mentales, elle serait trop lente pour être efficace. Le seul fait de prendre conscience d'un seul message, Implique un chemin très long dans la chaîne neuronique des réflexes. De plus il est impossible d'être à chaque instant conscient ' de plus de vingt messages à la fois!
L'entraînement consiste donc à exécuter le plus parfaitement possible toutes les, techniques du judo et à étudier esquives, parades, contre-prises, etc., dans l'application correcte du tai-sabaki et du kiaï. Les réflexes conditionnés d'attaques et d'esquives partiront plus rapidement et plus correctement sans l'effet perturbateur ou inhibiteur du cortex cérébral. C'est ce que les sages anciens nous conseillent dans l'adage «S'oublier, soi et le monde» :
Alors jaillira le sen-no-sen. Cela demande un long entraînement physique doublé d'une véritable ascèse mentale. L'élève comme le maître doivent y consacrer toute leur énergie. Mais comment le sen-no-sen est-il possible sans contact physique de l'adversaire? Cette question est capitale. Car, en self-défense, le kumi-kata n'existe pas. Votre adversaire sera toujours à quelque distance et toutes les perceptions transmises par le contrôle de vos bras disparaîtront. En faisant abstraction de la fonction P.S.I., citée plus haut, je pourrais expliquer le sen-no-sen à distance par le phénomène de consonnance télékinesthétique. Qu'est-ce que c'est? Un exemple vous le fera comprendre: vous assistez au cinéma à un combat spectaculaire entre deux bagarreurs. Vous voyez les coups partir et vous déplacez inconsciemment votre corps, vous vous crispez lorsque le coup atteint son but, vous contractez les poings lorsque votre antagoniste favori frappe, etc. Bref, votre corps s'identifie à celui de l'un ou des' deux combattants. Bien des scènes de la vie quotidienne nous montrent le même phénomène : notre corps « sent» les mouvements d'un autre corps. Comment? Chacun de nous a conscience de son propre corps. Une foule de nerfs renseignent le cerveau sur l'état physique, chimique, calorique, spatial de nos organes internes, de nos os et de nos muscles. Le cerveau est constamment en liaison avec les moindres parties du corps et l'ensemble des informations reçues, données, échangées, nous donne conscience de notre corps. Elle est quasi automatique: seules les informations nous intéressant à l'instant même occupent le champ de la conscience. Certaines même nous échappent tant elles sont insignifiantes, vagues ou dépendant entièrement du système végétatif.
Nous pouvons, par exemple, savoir à tout instant où est notre main gauche, mais il nous est impossible de sentir où se trouve notre pancréas, ou par exemple de savoir si nos surrénales sécrètent, à "instant, de l'adrénaline, Le nombre de ces perceptions, très grand, est entièrement connu du cerveau, bien qu'échappant souvent à notre conscience. De plus beaucoup de modifications chimiques, physiologiques ou autres s'opérant dans notre corps, se manifestent par des réactions nerveuses ou musculaires. Ainsi la colère provoque certaines secrétions hormonales qui déclenchent des réflexes d'agression, mobilisant eux-mêmes les muscles. La notion spatiale de toutes les parties de l'organisme, la conscience de notre corps, l'enregistrement de tous nos phénomènes internes ne sont pas des notions innées. Rien n'était inscrit en nous à notre naissance. Ce n'est que pendant les premières années de notre vie que s'est constituée cette énorme compilation d'informations. Or, si notre conscience ignore beaucoup de ces informations, la partie inconsciente de notre cerveau, elle, les connaît parfaitement et les utilise à tout moment. Et cette partie inconsciente du cerveau peut, par apprentissage, recevoir par l'intermédiaire des sens - de la vue (en particulier), de l'ouïe, de l'odorat, etc. - des messages sur la position, les déplacements et une foule d'autres indices concernant un autre corps. Par exemple, mon ouie perçoit le bruit des pas d'un adversaire, le halètement de sa respiration et mes yeux perçoivent une foule d'impression de tout son corps (distance; attitude, regard, amplitude thoracique, équilibre, etc.). Ce que j'en tire consciemment comme renseignement est minime, à côté de tout ce que mon inconscient connaît. En effet, celui-ci analyse les informations reçues par mes sens et les regroupe comme dans un puzzle. Or, comme beaucoup de pièces manquent (les phénomènes intérieurs de mon adversaire), l'inconscient les complète avec ses propres informations. C'est-à-dire que l'inconscient sait que lorsque la respiration devient courte, que certains muscles se contractent, que la peau blêmit ou rougit, que le visage prend une telle expression, que le poids du corps se répartit de telle manière sur le polygone de sustentation, bref lorsque l'organisme manifeste certains symptômes extérieurs bien précis, cela est dû à certains phénomènes intérieurs tout aussi précis et qu'il va en résulter telle action. Comme un bon policier, il déduit de quelques indices particuliers, l'ensemble du puzzle. Cette particularité qu'a notre corps de vivre exactement l'état physique d'un autre corps par le seul intermédiaire des sens, s'appelle le phénomène de consonnance télékinesthétique. Certains individus sont apparemment plus doués que d'autres dans ce domaine. En fait, il s'agit surtout d'apprentissage. Et la pratique du judo est en ce sens incomparable.
Beaucoup de sports, si pas tous en général, développent le sens kinesthétique chez l'individu et partant améliorent le pouvoir de consonnance télékinesthétique. Mais leur spécificité. même localise trop étroitement un petit groupe de sensations neuromusculaires. D'autre part, peu de sports sont basés sur des instincts aussi primaires que l'agressivité, par exemple. Le judo est non seulement basé sur un tel instinct, mais ses techniques sont régies par des lois naturelles et peu conventionnelles. Il accorde en outre, une grande importance au rôle que doit jouer; dans tout acte humain, le psychisme entier (conscient et inconscient). C'est ce qui lui permet de demander et de donner plus à l'homme que n'importe quelle autre discipline sportive.
Cette longue digression semble nous avoir un peu éloigné de la self-défense. En fait, il était essentiel de bien saisir qu'arrivé à un certain niveau technique, un expert doit aller au-delà de l'entraînement physique ordinaire. C'est ce que comprirent les samouraïs arrivés devant ce mur qu'est la limite ordinaire des performances physiques. L'ascèce zen leur permettait d'aller plus loin. De nos jours, l'étudiant sérieux, voulant atteindre le summum en self-défense, doit passer par le judo supérieur, pour atteindre la self-défense intégrale. Est-ce dire que seul le judo peut donner l'efficacité totale? Je ne le crois pas. D'autres écoles existent. Mais lui seul peut donner rapidement et sûrement à un spécialiste la maîtrise de la self-défense désirant contrôler n'importe quelle agression sans nuire dangereusement à l'intégrité physique de son adversaire. Toutefois pour éduquer parfaitement les réflexes au sen-no-sen à distance, il est nécessaire de suivre un entraînement approprié au combat à distance. Le kumi-kata est sans doute excellent comme introduction, mais la position rikaku (à distance sans contact) sera étudiée par les katas spéciaux tels que le ju-no-kata, le kime-nokata, et le seyroku zen'go-kokumin-taïku-no-kata. Pour les judokas débutants qui désirent dépasser le stade de la self-défense supérieure, le goshin-jitsu sera une étape obligatoire avant de passer à un exercice aussi difficile que le kime-no-kata. Cette forme de self-défense du Kodokan permet à l'étudiant de se familiariser aux principales attaques à distance à mains nues et avec armes (bâton, poignard, revolver). L'ensemble des divers katas cités plus haut, développent et entretiennent les réflexes du combat de rue. Le judo éduque la maîtrise de soi, le calme mental, l'esprit de décision, le tai-sabaki, le kiaï, etc. Et par le phénomène de consonnance, le judoka perçoit instantanément le degré de chacune de ces qualités chez son adversaire. Cette acuité lui permet de garder toujours l'initiative dans un assaut. Comment se déroulera alors le combat? Nous pouvons l'imaginer de la sorte: pour une raison ou l'autre, Tori décide d'attaquer Uke. Ce dernier perçoit l'imminence de l'agression et réagit. A l'instant où Tori attaque, Uke le projette, l'immobilise ou ... se retire! Le combat est terminé. En -général, Uke évitera le combat ou maîtrisera son adversaire par une technique judo, il invitera ainsi son adversaire à la raison, saris le blesser ni le tuer.
LA SELF-DÉFENSE SUPÉRIEURE
LA FEMME ET LA SELF-DÉ FENSE
ET LA SELF-DÉFENSE
LA SELF-DÉFENSE ÉLÉMENTAIRE