jeudi 14 mai 2009

Le kiai


Nous abordons. maintenant,un des exercices les plus mystérieux du Judo ',le kiai, qUI a toujours été considéré comme un des éléments importants, voire le principal, du judo ésotérique.

Les anciennes écoles du Judo parlent du kiai et de son pouvoir étrange et lorsque ce ,sport débuta en Occident, son occultisme lui, attira beaucoup d'adeptes. ,On raconte encore aujourd'hui qu’un cri mystérieux, au pouvoir étrange, peut, suivant le cas, annihiler la volonté d'un adversaire jusqu'à lui faire perdre connaissance ou, au contraire , le réanimer s'il est dans le coma. Les amateurs de fantastique s'en donnent à cœur joie : le mystère plane, et la mystique s'y mêle. Le kiai, dit-on, c'est « le cri qui tue» ou, « le cri de vie », Pourquoi pas? De la syncope à la mort, il n'y a qu un pas, d autant plus aisément franchi que certains contes nippons semblent, dans leur imprécision, accréditer des faits extraordinaires. Jugez-en : le kiai permettrait de subjuguer un adversaire au point d'arrêter net son attaque en le jetant au sol inanimé. Un expert en kiai ,aurait foudroyé des oiseaux reposant sur une branche et ceux-ci se seraient envolés indemnes après un second kiai .. Un maître en escrime, réputé pour son kiai, parvenait, par le cri , à faire croire à son adversaire qu'il était menacé d une, douzaine d épées et ce dernier ne parvenait plus à distinguer la vraie , D'autres anecdotes font penser à des exploits mystiques de yogis ou …d'hystériques.

Le kiai existe, bien sûr, et il est parfois employé en judo accompagné d'un cri. Le kime-no-kata, par exemple, est le kata type de l'emploi du kiai en attaque, Dans les techniques de réanimation (kuatsu), que nous étudierons dans le parte consacré il l'entraînement, Il est couramment utilisé comme adjuvant aux manipulations de réflexothérapie.

Pour nous faire une idée aussi précise que possible du kiai, étudions, son, aspect psychologique; nous étudierons ensuite ses manifestations extérieures.

Le mot kiai (prononcé Ki-Aïe) se décompose comme suit: Ki : esprit, et, Ai : contraction du verbe awazu (unir). Ainsi kiai peut se traduire, par, « union des esprits», La tradition ésotérique nippone lui attribue le Pouvoir de concentrer l'esprit de l'initié au point de l'unir à celui de son adversaire et de le subjuguer. KIAI est aussi considéré comme l'énergie latente de l'univers. suivant cette théorie, qui rejoint d'ailleurs certaines croyances hindoues,la pratique du kiai permettrait de maîtriser cette puissance cosmique et de s'en servir à des fins de domination.

Les méthodes utilisées sont nombreuses et tous les grands maîtres du passé les confondaient avec leur discipline guerrière. En judo, le kiai consiste à créer un état psychologique tel que l'on garde l'initiative. Le judoka qui utilise le kiai se décontracte d'abord le corps et l'esprit. Son corps doit être souple, mais ferme : le tronc est droit, le menton rentré, une force sous-jacente concentrée dans le bas-ventre (tanden). Les déplacements sont légers et commandés par le tai-sabaki. Les nerfs détendus sont prêts à répondre à la première injonction. L'esprit, comme le corps, est libre de toute préoccupation, détendu, mais vigilant. A chaque instant, le judoka se moule sur son partenaire au point d'être en communion totale et parfaite avec lui. Les deux corps, les deux esprits n'en font plus qu'un. L'adversaire le plus fort, c'est-à-dire le plus souple, le plus rapide et le plus vigilant mène le combat; dès l'instant où l'équilibre se rompt, pareil à l'éclair, sans le moindre raisonnement, la moindre hésitation, le mouvement part, la projection irrésistible s'exécute.

La respiration joue un grand rôle. Tori attaque en fin d'inspiration, pendant l'expiration d'Uke. Cet éclair provoque souvent par décharge respiratoire et nerveuse, un cri sec, puissant qui semble sortir des entrailles de Tori. On a souvent donné, à tort, le nom de kiai à ce cri. En fait, le kiai c'est tout ce qui le précède, c'est la disposition physique et mentale qui permet de pratiquer à la perfection le tai-sabaki et aussi le judo. Le kiai est le summum de la souplesse. Dans les milieux judokas, lorsqu'un combattant, très sûr de lui, attaque sans cesse, se défend avec acharnement, ne laissant aucune chance à son adversaire, on dit de lui qu'il est « plein de kiai », C'est vrai parfois, mais le plus souvent ce combattant est seulement plein d'agressivité; il a certainement un esprit guerrier mais cela ne signifie pas néçessairement la possession du kiai.

Le kiai est plus discret, en quelque sorte, et n'est bien souvent perceptible que par les initiés. En revanche, le judoka qui combat avec un expert en kiai ne tarde pas à se rendre compte de la puissance de son adversaire. Bien des judokas occidentaux l'ont expérimenté dans des compétitions les mettant aux prises avec des maîtres japonais. Lorsque ceux-ci attaquent, toute résistance semble futile, tant la technique est parfaite.

Cette étrange maîtrise s'acquiert par un entraînement méthodique, par de nombreux et rudes combats, mais aussi par une initiation particulière. Bien des champions ont dépensé efforts et temps sans jamais en retirer autre chose qu'une bonne coordination musculaire, des réflexes rapides et de « nombreuses ficelles» de compétition. Ils sont passé à côté du judo total. D'autres, par ailleurs, guidés par des maîtres excellents, découvrent les subtilités et la puissance du kiai : le vide intérieur,



la disponibilité permanente qui permet l'action immédiate au bon moment, la prémonition des attaques et des ruses, de la manière de les contourner (tai-sabaki) pour les dominer. Certains disent que le kiai peut être utilisé en stratégie, en politique, en affaires, en amour, aux échecs, dans toutes les activités humaines ...

Comment s'y entraîne-t-on en judo?

Par deux méthodes. La première consiste à pratiquer le taisabaki en combat- et à perfectionner les réflexes mentaux qui le sous-tendent. La 'seconde exerce les aspects extérieurs pour atteindre progressivement la maîtrise intérieure; elle entraîne au cri pour atteindre progressivement l'état mental du kiai.

Ce cri est un son bref très intense. La base en est un « a», variable évidemment suivant la voix de chacun. « A » peut devenir: « ei », « ai », « alte », « oilt », « ait », «iaa », etc.

Avant de nous engager plus avant, je répondrai à une question que le lecteur ne manquera pas de se poser: comment un phénomène inhibiteur; pouvant provoquer la syncope, réanimera-t-il une personne qui a perdu connaissance? L'explication est simple. Les sons gravés, aux tons mineurs, freinent et ralentissent les mouvements respiratoires et cardiaques; ils abaissent la pression artérielle et détendent la tension nerveuse. Par contre, les sons aigus, aux tons majeurs, accélèrent la respiration, le cœur et excitent la tension nerveuse. Vous l'avez sans doute personnellement expérimenté en écoutant chanter une basse profonde et un soprano. On peut vérifier ce fait sur un individu écoutant des sons graves et subits, puis des sons aigus. Le tensiomètre du médecin indique d'abord une baisse de tension, puis une hausse. De plus, les pulsations cardiaques et le rythme respiratoire ralentissent dans la première phase et s'accélèrent dans la seconde. Je reparlerai de celles-ci dans l'étude des kuatsus ou « méthodes de réanimation».

Quant au kiai offensif, ne s'agit-il que d'un cri bref et prompt poussé au moment d'une attaque? Oui et non. Pour le spectateur, ce cri semble une simple forme d'intimidation, mais il ya plus ...

lorsque deux experts en arts martiaux se rencontrent en combat singulier, la tension d'esprit de chacun est très grande. Ils s'observent, se mesurent à distance et insensiblement tâtent le terrain. Le combat semble uniquement psychologique. Il ressemble un peu au duel terrible des finalistes d'un grand championnat d'haltérophilie. Qui relâchera le premier sa tension nerveuse, sa vigilance? Il ne s'agit pas, à ce moment, d'avoir peur, d'avoir « le trac ». Tout est contrôlé à l'extrême: la moindre modification physique et mentale de l'adversaire est perçue. Pour attaquer et vaincre, il faut, en un éclair, coordonner en un acte unique toutes les fonctions organiques et spirituelles. L'attaque s'insèrera dans la moindre faille de l'adversaire : une expiration, une baisse de tension nerveuse, une inattention ...



Au moment précis où l'attaque se déclenche, un kiai puissant ébranle un tant soit peu l'adversaire et galvanise toutes les forces latentes de l'attaquant. Il s'agit surtout d'un effet psycho-physio-logique qui se superpose à l'effet physiologique que j'ai décrit. Les deux effets se renforcent d'ailleurs et augmentent leur puissance respective.

Si mon explication est confuse, quelques exemples vous feront voir plus clair. Un effort physique intense provoque souvent une expiration forcée accompagnée d'un son rauque. C'est le « han» du bucheron abattant sa cognée ou le.«ho-hisse» des hâleurs.

Plus l'être humain est primitif, plus cette extériorisation est naturelle : les sauvages poussent des cris les plus divers lors d'actions où la force physique est alliée à une grande dépense nerveuse. Quand un être simple déploie un effort violent, celui-ci est accompagné d'une exclamation sourde et énergique. Chez le « super-civilisé», le cri accompagnant l'effort est presque impossible. Toutefois, les mécanismes de l'instinct demeurent et finissent par s'extérioriser quand les inhibitions du milieu ne jouent plus. Or, le fait de pouvoir crier naturellement avec force et spontanéité, libère les réflexes conditionnés de toute entrave. C'est l'oubli total et momentané de tout ce qui ne conduit pas à l'acte unique. Une fois celui-ci accompli, tout revient dans "ordre et le cerveau rejoue son rôle habituel. Notre conscience de civilisés ne connaît plus ces mécanismes instinctuels, mais l'inconscient en est devenu le dépositaire. Ainsi, lorsqu'un combattant si endurci soit-il est attaqué au bon moment par une excellente technique doublée d'un puissant kiai, son organisme enregistre le son et le processus est le suivant:

• enregistrement du son et inhibition nerveuse cardio-respiratoire;

• réveil dans l'inconscient des engrammes instinctuels;

• déconnection nerveuse avec "écorce cérébrale et augmentation de l'émotivité (thalamus);

• perturbation de l'équilibre neuro-végétatif et accroissement des phénomènes inhibiteurs.

En deux mots, il s'agit d'un langage de deux inconscients. Le premier, celui de Tori, décharge son énergie instinctuelle en l'extériorisant par un cri. Ce son apporte, par la voie nerveuse, un message seulement compris de "autre inconscient. Ce message est l'affirmation totale d'une attaque soudaine, irrésistible. Et sans que le cerveau d'Uke puisse réagir à temps, c'est la déroute chez l'adversaire. Lorsque le cerveau et les mécanismes normaux de défense auront rétabli la situation, il sera trop tard: le combat sera consommé. Le kiai permet donc l'attaque idéale. Pour y arriver, de bonnes cordes vocales bien entraînées ne suffisent pas. Un rugissement de lion, lancé à tort et à travers, par un judoka qui, par ailleurs, n'aurait qu'une technique médiocre, serait tout simplement ridicule. Cela s'est vu, trop souvent, en championnat. Je le répète: jamais un hurlement ne fera sourciller un vrai judoka; tout au plus parviendra-t-il à étonner ce dernier, mais jamais il n'aidera une projection ou une autre attaque, Quant à la syncope, mieux vaut ne pas y penser. Par contre, la maîtrise parfaite du tai-sabaki doublé d'un kiai bien exécuté amène la victoire, tant en judo debout qu'au sol.

Je crois utile de préciser maintenant la méthode d'apprentissage du cri. .

Si vous êtes de bonne éducation, je suis certain qu'à l'instant même, il vous serait impossible de pousser un cri, grave ou aigu, avec force. Même dans un endroit isolé, vos premiers cris seront timides, à moitié étouffés ou paralysés. N'incriminez pas votre larynx peu entraîné, mais plutôt votre tournure d'esprit. N'oubliez pas que votre « moi» doit être absent et votre conscience abolie. Seule, l'énergie latente en vous doit d'abord exploser spontanément. L'exercice le plus efficace n'est pas l'entraînement en position assise ou agenouillée, mais plutôt l'application du cri dans l'action. L'uchi-komi est recommandé pour cet entraînement, mais l'idéal est, si votre grade le permet, la pratique assidue du kime-no-kata (formes de décision).

Aux lecteurs trop pressés d'employer cette arme terriblement efficace, je conseille d'assimiler d'abord les techniques de base du judo : ils ne rencontreraient que déboires et risqueraient de se couvrir de ridicule. Tout l'entraînement du judo, des brise-chutes aux katas, vise à préparer au mieux le judoka à cette technique supérieure qui permet l'acte unique.

On accélérera le travail par la préparation suivante:

• .exercices respiratoires du type yoga (respiration rythmée);

• exercices de décontraction et de concentration mentale;

• méditations durant de courtes périodes (d'une semaine à un mois, à raison d'une heure par jour);

• régime alimentaire sain, gymnastique quotidienne appropriée, hygiène physique et mentale appropriée.

Ainsi, après avoir acquis une certaine maîtrise de soi, on pourra s'exercer seul au kiai.

Au début, entraînez-vous, dans un endroit retiré, à pousser des cris brefs et puissants. Ne hurlez pas, mais veillez plutôt à la plénitude de la voix, à la soudaineté du cri et augmentez progressivement son intensité. Celle-ci sera maximale dès le début de l'émission du son. Imaginez que le cri parte du ventre, contractez les abdominaux et poussez-les en avant lors de l'émission. Vous vous rendrez compte de l'importance de ces détails lors d'un tai-sabaki d'esquive à une attaque. Dans ce cas précis, le judoka expert ferme parfois la bouche et rechasse les viscères vers le bas ainsi que son centre de gravité. La stabilité est alors telle que l'attaque échoue toujours.

Après quelque temps, passez à l'étape suivante:

• suspendez au bout d'une corde un petit sac de sable (de 3 à 4 kg) de manière à ce qu'il puisse se balancer d'avant en arrière à hauteur de votre poitrine;

• en balançant avec force le sac devant vous, attendez qu'il revienne pour buter contre la poitrine. A cet instant précis, esquivez par un tai-sabaki rapide et poussez le kiai. Le sac n'ayant rencontré que le vide, poursuit sa course, revient ensuite à nouveau vers vous (qui êtes resté parallèle à l'axe de sa course)

et passe devant votre poitrine; .

• à "instant précis où il dépasse votre corps, pivotez vers lui en le frappant, bras fléchis, de la paume de la main et en poussant un kiai. Vous êtes alors de nouveau face au sac, prêt à l'esquiver dès son retour.

Pour retirer le maximum de profit de cet exercice, il faut imprimer au sac une vitesse assez grande et l'esquiver à la dernière .fraction de seconde.

Après quelques séances, il faut vous concentrer dans un état psychologique favorable à un parfait kiai.

N.B. : La trajectoire de la corde doit être chaque fois identique, de manière à ce que les tai-sabaki soient corrects. La manière de frapper interviendra donc dans la direction donnée au mobile.

Conclusion. L'étude et la pratique du kiai en judo consistent à développer au plus haut point chez le judoka la maîtrise de soi et l'utilisation efficiente de son énergie. Celui-ci affinera ainsi, à un degré extrême, sa perception du jeu des forces physiques et mentales, chez lui et l'adversaire. Faisant abstraction totale de son héritage psycho-social, de son « moi», Tori devient Uke, se « met dans la peau» de son adversaire, le vit, le respire et finalement le mène àsa guise. A l'instant précis où la victoire est possible avec le maximum de chance de réussite, Tari attaque spontanément, sans y penser'. La tension nerveuse se décharge, l'air est chassé des poumons, un cri éclate. Un partenaire est vaincu, un autre est vainqueur. Le kiai est entré en action.

Le lecteur pensera sans doute aux conséquences d'un tel entraînement. En effet, l'acquisition de la maîtrise du kiai a des répercussions profondes sur le comportement futur de son adepte : calme, équilibre et pouvoir, moins spectaculaire que le profane ne le pense, mais efficace et applicable dans les circonstances les plus diverses.

Note. L'application du kiai en tant que technique de réanimation sera étudiée au chapitre du kwapo.