Maître Jigoro Kano disait volontiers: « Les katas sont l'éthique du judo. Dans ceux-ci se trouve l'esprit du judo, sans lequel il est impossible d'apercevoir le but ».
Qu'est-ce donc exactement que le kata? Et pourquoi semble-t-i1 si important aux yeux des maîtres du judo?
Le kata est à la fois un ensemble de techniques fondamentales, un mode d'étude spécial et une forme d'entraînement rigoureusement codifiée, afin de transmettre de génération en génération la technique, l'esprit et les buts du judo.
Cette méthode de transmission n'est pas propre au judo seul.
Tous les arts martiaux se sont perpétués jusqu'à nos jours par le truchement de katas appropriés, inventés par de grands maîtres. C'est ainsi que dans les vieux manuscrits, nous apprenons de certains samouraïs la manière dont ils furent initiés par de vieux maîtres aux secrets de leur art. Généralement, le disciple travaille de nombreuses années auprès d'un maître qui lui enseigne les rudiments de l'escrime, de la lutte ou du tir à l'arc, suivant sa spécialité. Lorsque le maître juge que l'élève a atteint une certaine maturité physique et mentale et qu'il est enfin digne d'être initié aux techniques supérieures (généralement secrètes) de son art, il convoque ce dernier en grand secret et de préférence la nuit, dans son dojo particulier. Là, après avoir fait prêter serment au néophyte de ne jamais révéler à qui que ce soit l'enseignement qu'il va recevoir, le vieux maître commence à exécuter devant son disciple une sorte de danse étrange. Avec un cérémonial impressionnant et une tension mentale extraordinaire, le maître exécute dans un enchaînement ininterrompu, les déplacements, déséquilibres, coups, prises et contrôles les plus surprenants, qui bien souvent ne sont pas tous compris par l'élève. Celui-ci reçoit alors les explications complémentaires et commence aussitôt à apprendre les gestes secrets. Parfois cette démonstration s'exécute avec un ou deux partenaires, rarement plus. Le maître est alors secondé par ses disciples les plus avancés.
Dans tous les cas, il s'agit d'assimiler un condensé des prises les plus représentatives d'une technique et, pour le jiu-jitsu, cela se résume, suivant les écoles, en une série d'atemis redoutables, de projections inédites ou de contrôles efficaces.
Mais le plus important est ce qui échappe à un œil non averti, les déplacements, les déséquilibres et l'état mental.
Le judo, dans son esprit de synthèse, a retenu quelques-uns de ces katas les plus efficaces. Il est ainsi donné à l'élève soucieux de progresser, la possibilité d'ajouter à son entraînement ordinaire (étude et combats) une forme très spéciale de pratique et d'étude.
Il ya ainsi neuf katas en judo. Chacun d'eux permet de donner à l'élève un enseignement unique sur la technique fondamentale e l'esprit le plus haut du judo. Cet enseignement est évidemment progressif et commence par des techniques de base pour se terminer par les principes les plus élevés du judo supérieur.
Les trois premiers katas enseignent la technique de base du corps-à-corps en combat libre. C'est randori-no-kata, et il se divise An :
• nage-no-kata : « formes fondamentales de projections »;
• katame-no-kata : « formes fondamentales de contrôle au sol »;
• kime-no-kata : « formes fondamentales de décision », ou shinken-no-kata : «formes fondamentales de combat réel (atemi et kiaï) »,
Le quatrième est ju-no-kata ou « formes de la souplesse », Ce kata enseigne le principe ju de judo, c'est-à-dire la « souplesse », Il applique ces techniques de souplesse à l'attaque et à la défense, en utilisant l'énergie de la manière la plus efficiente.
Koshiki-no-kata est le cinquième kata et il se traduit par «formes antiques », C'est le kata de l'ancienne école de jiu-jitsu de Kitô. Maître Kano, qui étudia la technique de cette école, la garda dans les katas du judo moderne et l'on rapporte qu'il l'affectionnait tout particulièrement.
En fait le koshiki-no-kata est riche en enseignement et possède l'essentiel des secrets du tsukuri, kuzushi et tai-sabaki. Ce kata s'exécutait anciennement en armure de samouraï. De nos jours, il est exécuté en judogi, mais chaque partenaire mime dans sa démarche les gestes pesants du porteur d'une armure.
Le sixième kata est probablement le plus élevé dans sa technique et son esprit. Toutefois si ce kata itsutsu-no-kata n'est demandé que pour l'examen de 7" dan, le kata précédent est, lui, demandé pour le passage de S" dan! Son étude peut commencer toutefois bien avant et ne dépend en fait que du maître et surtout de l'état de maturité du disciple.
Ce singulier kata n'a pas de nom significatif, car il se traduit par « formes des cinq », Ce sont en effet cinq formes de techniques sans nom, ni définition. Maître Kano mourut avant de les définir et de les baptiser par une appellation adéquate. Ils enseignent d'une manière directe l'expérience du maximum d'efficience au travers d'élégants mouvements représentant les forces cosmiques.
Le septième kata, au nom très long de seiroku-zen'yo-kokumln-tallku-no-kata est une forme d'éducation physique nationale" basée sur le principe du maximum d'efficacité. Son but est double : il vise à l'entraînement complet du corps, afin de le développer harmonieusement et d'initier d'autre part ses pratiquants à l'art du combat dans l'attaque et la défense.
Cette forme d'entraînement est particulièrement indiquée pour les débutants en judo, surtout pour les enfants et les femmes. Il est d'autre part un excellent moyen de préparation à l'entraînement classique.
Enfin, les huitième et neuvième katas, communément appelés goshin-jitsu, sont des techniques de self-défense pures et sont spécialement étudiées pour les pratiquants féminins et masculins. Ces derniers étudieront ippon yo-goshin-no-kata, tandis que les jeune filles et les dames se spécialiseront dans fujoshi-yogoshin-no-kata.
Après ce rapide tour d'horizon des divers katas, nous allons en étudier les principaux pour la pratique courante du judo : nage-no-kata (projection debout) et katame-no-kata (contrôle au sol). Ensuite nous étudierons ju-no-kata, très important pour les judokas féminins. Les autres katas seront étudiés à titre documentaire, mais d'une manière plus superficielle. Il n'est pas en effet dans mon but de vous enseigner, à l'aide de ce livre, le moindre kata, ne serait-ce même que le familier nage-no-kata. La technique de base du judo 'elle-même ne peut s'apprendre à l'aide d'un livre. Celui-ci est plutôt un guide, un aide-mémoire et un complément à l'étude et à la pratique dans un dojo. Pour le kata, l'enseignement d'un livre est loin d'être un guide pour l'étude. Seul l'enseignement d'un maître est valable. Aussi insisterai-je dans les descriptions de katas sur les points importants généralement transmis par l'enseignement oral. Quant aux techniques, elles seront décrites brièvement et accompagnées d'une illustration.